Étape 14
Page R. M. Rilke
Une rose seule, c’est toutes les roses et celle-ci : l’irremplaçable, le parfait, le souple vocable encadré par le texte des choses.
R. M. Rilke, « Les Roses », VI (extrait), dans : Les Roses, illustrées par Palézieux, Gonin, Lausanne, 1989
Aussi a-t-il, de tous les animaux, le rapport affectif le plus confiant avec le monde extérieur comme s’il se savait lié à lui par un intime secret. […] Il peut même transformer pour nous, un instant, le monde tout entier en espace intérieur, parce que nous sentons que l’oiseau ne distingue pas entre son cœur et celui du monde.
R.M. Rilke, « Lettre à Lou Andreas-Salomé, 20 février 1914 », dans : Philippe Jaccottet, Rilke, éditions du Seuil, Paris, 2006.
O ! Corbeau qui lentement passe au-dessus de moi, d’un ciel de plomb comme était mon coeur, tes croassements m’ont vivifié […] Ce soir, en passant sous la grise lourdeur du firmament, au-dessus de moi, ce fut comme si tes onze croassements étaient onze gouttes d’élixir spirituel qui me soient tombées dans le cœur.
C.C. Olsommer, 26 mars 1923, Carnets intimes, Musée Olsommer, Veyras
Jeu de piste
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Résonances
Dans une lettre de 1914 à Magda von Hattinberg, Rilke révèle le réseau de correspondances qu’il sent à l’oeuvre autour de lui et en lui, dans un accord aussi profond qu’insondable : « Vous vous souviendrez sans doute d’avoir éprouvé que la vue d’un paysage, de la mer, de la nuit agrandie d’astres nous persuade de l’existence de rapports et d’ententes dont nous serions incapables de mesurer l’étendue. »
Grâce à l’acte créateur, Rilke, comme chacun des cinq autres artistes établis à Veyras, transfigure le réel du monde et donne à (entre)voir les réseaux qui le constituent. « Restituer la Beauté de l’Invisible sous la forme du visible », tel que l’évoque Olsommer. L’œuvre d’art inscrit alors l’accord caché des choses dans une dimension supérieure. Pour l’artiste comme pour celui qui la reçoit, c’est peut-être là une tentative de conjurer l’inéluctable de la destinée humaine, que rappelle le dernier vers de la Huitième Élégie de Rilke : « tels nous vivons, à chaque pas prenant congé. » (Février 1922)
Le motif de la rose
Avec Les Roses (1924), illustrées par Palézieux, Rilke retrouve un thème récurrent de son oeuvre, qu’il reprend au moment de rédiger son épitaphe pour la tombe de Rarogne.
“ Rose, ô pure contradiction, désir
de n’être le sommeil de personne, sous tant de
paupières. ”
R. M. Rilke, épitaphe , 1925
Je lisais donc, plein de recueillement et de pure attention en esprit, dehors dans le parc; tout y était à l’unisson avec moi, une de ces heures nullement élaborées mais pour ainsi dire laissées vides, comme s’il appartenait aux choses de se réunir pour constituer de l’espace, un espace aussi intact que l’intérieur d’une rose, un espace angélique, dans lequel on se tient paisible […]
R.M. Rilke, “Lettre à Marie de La Tour et Taxis du 26 novembre 1915” (extrait), dans : Correspondance avec Marie de La Tour et Taxis, Albin Michel, Paris, 1988